La réception des œuvres de Jean Forton

Articles et émissions consacrés à Jean Forton entre 1954 et 1969
La réception des œuvres de Forton par les différents médias entre 1954 et 1969

  Si nous considérons la variété des revues, littéraires ou non, tous les grands journaux parisiens, nationaux ou régionaux, de diverses tendances politiques, et les émissions de radio et de télévision, qui ont parlé de Forton entre 1954 et 1969, nous pouvons penser que l’auteur a eu toutes les chances de rencontrer de son vivant le public qui lui était destiné.

  Ses chiffres de vente, toujours modestes, ne font pas de lui un écrivain populaire. Mais pendant les douze ans où il publia chez Gallimard, nous constatons qu’il fidélisa de grands critiques comme Philippe Sénart, critique d’Arts et de Combat, Jacques Brenner de Paris-Normandie, Kléber Haedens de Paris-Presse, André Rousseaux du Figaro littéraire et Matthieu Galey d’Arts. D’autres, moins célèbres, montrèrent une égale constance, comme André Dalmas de La Tribune des nations et Gilbert Ganne de L'Aurore, à qui l’on doit la dernière interview de Forton.

  Dans la presse régionale, deux critiques se distinguent par leur fidélité : Jean-Charles Varennes de Centre-Matin et surtout Pierre Paret de La Dordogne libre, qui présenta six romans de Forton sur sept.

  De même, les presses belge et suisse, et particulièrement trois journalistes, suivirent avec intérêt l’auteur pendant toute sa carrière.

 

  Cependant, il faut noter la disparité qui existe entre la presse parisienne restée fidèle à Forton jusqu’au bout, et la presse régionale, qui semble l’avoir oublié après son silence de six ans entre L’Épingle du jeu et Les Sables mouvants.

  Soulignons d’abord la présence constante de Forton dans les plus importantes revues littéraires de son époque, de son premier roman à son dernier. Sans doute toucha-t-il là son vrai public, celui qui connaissait tous ses romans et qui devait lui rester par-delà les années.

  Les revues non littéraires, en revanche, ne le découvrent véritablement qu’à partir de La Cendre aux yeux. Les romans les moins connus sont d’ailleurs ceux qui ont été ignorés de ces revues, L’Herbe haute et L’Oncle Léon. Des journalistes influents comme Pascal Pia et Matthieu Galey viennent s’ajouter alors aux grands noms de la critique littéraire pour faire connaître l’auteur à un public non spécialiste mais cultivé. Pas plus que les revues littéraires, ces revues généralistes ne semblent avoir oublié Forton en 1966 puisqu’elles sont toujours aussi nombreuses à parler des Sables mouvants.

  De même, la presse parisienne et nationale, après un premier article paru dans Combat sur L’Oncle Léon, continue de présenter les romans de Forton jusqu’en 1966 et Les Sables mouvants bénéficient d’articles dans les quotidiens les plus prestigieux comme L’Aurore, Le Figaro et Le Monde.

  À l'inverse, la presse régionale se retrouve singulièrement réduite en 1966, avec la disparition de tous les grands quotidiens régionaux qui avaient présenté les romans précédents de Forton. Même la presse locale de la région bordelaise se montre réservée, puisque Les Sables mouvants n’eurent qu’un article dans Sud-Ouest, le grand quotidien local, alors qu’ils concouraient pour les prix de fin d’année.

  Seules, les revues bordelaises semblent avoir reconnu Forton comme un auteur digne de représenter la région, et pourtant si l’on en croit la presse nationale, il était bien plus que cela.

 

  L’histogramme montre clairement trois paliers dans l’accroissement du nombre des articles suscités par les romans de Forton entre 1954 et 1960, avec une véritable explosion provoquée par L’Épingle du jeu (EJ), et un déclin relatif après cet apogée pour le dernier roman publié de son vivant : Les Sables mouvants (SM).

  On peut donc déterminer quatre moments dans la réception immédiate fortonienne.

  Le premier va de 1954 à 1956 et englobe ses trois premiers romans, La Fuite (F), L’Herbe haute (HH) et L’Oncle Léon (OL), qui ont chacun bénéficié d’un nombre d’articles comparable. Les débuts de ce jeune romancier de 24 ans paraissent plutôt prometteurs, d’autant plus qu’il a été remarqué par la presse nationale et par les revues littéraires dès son premier roman.

  La deuxième étape, qui couvre les trois années suivantes, de 1957 à 1959 et comprend deux romans, La Cendre aux yeux (CY) et Le Grand Mal (GM), montre une progression très nette dans le nombre d’articles : c’est effectivement avec La Cendre aux yeux que la carrière de Forton semble prendre son essor. Non seulement le nombre d’articles pour ce roman a presque doublé par rapport au précédent, mais surtout c’est le premier à être traduit à l’étranger, avec deux éditions en langue anglaise, aux États-Unis et en Angleterre, et une en italien. C’est aussi le premier à concourir pour un prix de dimension nationale – L’Herbe haute avait obtenu le Prix de la Littérature Pyrénéenne – et non des moindres, puisqu’il entre en lice pour le Goncourt, qui sera attribué à La Loi de Roger Vailland. Un certain nombre de critiques avouent d’ailleurs découvrir Forton avec cet ouvrage et n’avoir pas lu ses romans précédents.

  En 1959, le prix Fénéon consacre les qualités littéraires de La Cendre aux yeux, généralement considéré comme son chef-d’œuvre par les critiques et les éditeurs. Forton lui-même trouvait que c’était son meilleur roman.

  Avec Le Grand Mal, publié deux ans plus tard, la cote littéraire de Forton progresse encore, puisque le nombre d’articles passe de 47 à 56. Ce roman est lui aussi traduit en anglais, en italien et fait l’objet d’un projet d’édition allemande. De nouveau, Forton est pressenti pour les prix de l’automne 1959, dans le peloton des « espoirs ». Il obtient le Fénéon pour le roman précédent mais Le Grand Mal lui fait franchir une deuxième étape décisive dans la reconnaissance par la critique parisienne.

 

  Il atteint le sommet de sa carrière littéraire l’année suivante avec L’Épingle du jeu qui lui vaut un nombre d’articles jamais atteint jusqu’alors, ni par la suite.

  Ce roman, qui met en scène des méthodes d’éducation inhumaines dans une institution jésuite sous l’Occupation, eut un grand retentissement dans le milieu littéraire, qui comptait un certain nombre d’anciens élèves des jésuites. Dans cette affaire, les rôles de premier plan – mais pas les meilleurs – furent tenus par André Billy, président du jury Goncourt de l'époque, et François Mauriac qui accabla son jeune compatriote de sa condescendance perfide, voire insultante.

  En outre, la position de Forton, qui partait grand favori pour le Goncourt de cette année-là, enflamma une polémique qui n’aurait sans doute pas connu une telle ampleur si l’auteur n’avait pas déjà acquis une certaine réputation littéraire.

 

  La roche Tarpéienne est près du Capitole : Forton, sans avoir eu les honneurs du Capitole, qui lui échappèrent de peu, et de manière à discréditer le jury Goncourt (cf sa biographie), connut pourtant l’amertume de la chute.

  Le silence de six ans qui suivit la publication de L’Épingle du jeu brisa la courbe ascendante de son succès et de ses publications régulières, et Les Sables mouvants accusent un net recul de la presse par rapport au roman précédent.

  Le déclin de Forton en 1966 est cependant relatif : certes, Les Sables mouvants sont loin derrière L’Épingle du jeu pour le nombre de critiques, mais leur performance critique reste comparable à celle de La Cendre aux yeux et les place en quatrième position parmi les romans de Forton. Le romancier est encore un auteur suivi et apprécié mais la critique a la mémoire courte, comme en témoigne le titre même de l’article de Matthieu Galey paru dans la revue Arts en octobre 1966 : « Mais qui est donc Forton ? »

  Forton ne s’est jamais relevé de cet article fielleux qui défendait par ailleurs une politique éditoriale tout à fait contestable.

  

  Pourtant, en mars 1969, sur la radio de Bordeaux-Aquitaine, les auditeurs purent l’écouter s’entretenir longuement avec André Limoges. La télévision s’intéressa aussi à lui par le biais de Jacques Manlay, jeune réalisateur de l’ORTF installé à Bordeaux depuis 1966, qui fit un « remarquable portrait de l’écrivain », malheureusement jamais diffusé .

 

La réceptions des œuvres de Forton par les médias de 1976 à 2005

 

 

  Relevons tout d’abord ce qui peut paraître une évidence et qui est loin d’en être une pour la destinée posthume d’un écrivain : pendant les vingt ans qui ont suivi la disparition de Forton, il ne s’est jamais écoulé plus de cinq ans sans qu’un événement ou un article ne soit venu rappeler son nom à la mémoire du public.

  Il ne s’agit pas seulement d’un public régional, limité à l’agglomération bordelaise qui serait soucieuse d’entretenir le souvenir d’une ancienne gloire locale, mais du public lettré parisien, qui continue, comme on le sait, de décider des fortunes littéraires passées et actuelles.

  Le graphique qui correspond à cette période montre une nette prédominance de la presse nationale et parisienne sur la presse régionale.

  Depuis 1997, la radio ou la télévision l'ont régulièrement mentionné, et il a tout de suite été présent sur plusieurs sites Internet.

  Ainsi, malgré le long silence éditorial qui a suivi sa dernière publication en 1966, Forton a conservé le statut d’auteur national qui était le sien au moment des Sables mouvants.

  Nous voyons aussi que sa mort est passée relativement inaperçue, mais que la réédition de La Fuite et de La Cendre aux yeux en 1983 a eu un écho dans la presse nationale.

  Son véritable purgatoire semble donc se situer entre cette date et 1995, qui marque sa résurrection grâce au Dilettante, soit un intervalle de douze ans. Depuis, à un rythme quasi-annuel, des événements (la réédition des Sables mouvants par Le Dilettante en 1997, l'exposition « Un romancier dans la ville » à Bordeaux en 2000, la publication des deux recueils de nouvelles par Finitude : Pour passer le temps – PPT – et Jours de chaleur – JC – en 2002 et 2003) ont régulièrement permis de voir son nom mentionné dans les médias, dont certains sont considérés comme très prescripteurs sur le plan littéraire.

 

 

  Nos graphiques, ainsi que l'essentiel de leur commentaire sont empruntés à notre thèse soutenue en 2006 (d'où la date d'arrêt à 2005).

  Ces graphiques ont été élaborés à partir des articles conservés dans les dossiers de presse des éditions Gallimard, Le Dilettante et Finitude, de ceux auxquels nous avons pu avoir accès grâce à Madame Forton et à la Bibliothèque municipale de Bordeaux, de ceux qui ont été répertoriés par Lise Chapuis (Jean Forton, un écrivain méconnu, mémoire de DEA de littérature française, Bordeaux III, juin 1989), que nous n’avons pas toujours pu consulter, et de ceux que nous avons collectés nous-même dans la presse ou les revues.

 

  Naturellement, au-delà de 2005, la réception de Jean Forton a continué de vivre, et même bien vivace, grâce à la publication de romans ou de nouvelles inédites, ainsi qu'à la réédition de La Cendre aux yeux par Le Dilettante.

  En outre, la généralisation de l'usage du Net a offert des possibilités inattendues à l'œuvre de Forton pour toucher un nouveau public. Son nom et celui de ses romans parus récemment apparaissent plusieurs fois dans des blogs ou des forums littéraires, avec toujours beaucoup d'éloges pour son écriture et ses analyses. Ces critiques anonymes ou sous pseudonyme ne peuvent en aucun cas être soupçonnées de complaisance. Elles ne sont pas non plus le fruit du travail efficace des attachées de presse. Elles sont spontanées, et donc l'enthousiasme qu'elles expriment vient confirmer la dimension intemporelle d'un écrivain qui parle à toutes les générations. N'est-ce pas là ce qui caractérise les plus grands ?